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Ma nature profonde..

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25 novembre 2016

Du lait dans les veines

Ste Catherine

En l’an 290 de notre ère, Constus, un puissant et noble seigneur d’Alexandrie en Egypte, fit à sa femme une petite fille au teint si clair et aux yeux si bleus qu’il la prénomma Catherine, ce qui en grec signifie "pure". Après quoi, épuisé par tant d’efforts, il mourut.

Catherine grandit en grâce et en beauté, car en effet elle était fort belle, et beaucoup de garçons voulaient la mettre dans leur lit, sauf qu’alors il fallait d’abord passer par la case mariage. Catherine envoyait chacun de ses prétendants sur les roses, parce qu'elle, ce qu’elle voulait, c’était un homme qui les surpasserait tous en sagesse, richesse, noblesse, délicatesse, et surtout, en prouesses gentillesse. Seulement voilà, c’est pas beau d’être trop gourmande, comme son avenir ne va pas tarder à le lui montrer.

La mère de Catherine, soucieuse d’avoir une fille aussi exigeante, l’envoie se faire gourmander par un saint ascète qui vit dans une grotte. Cet homme a converti la mère de Catherine au Christianisme alors que Catherine en est encore aux belles histoires racontées par les bardes, le culte des saisons, de la fécondité, des ancêtres et toutes ces sortes de choses.

Au cours de leur entretien ponctué de quelques thés sans sucre, le saint homme parle à Catherine de Celui dont la beauté surpasse celle du soleil et de la lune. "Il règne", lui dit-il, "sur toute la création et sa sagesse n’a pas de limites ! Il est le plus beau des hommes !"

"Chance !" se dit Catherine, "l’homme idéal n’est pas mort !".

Et lorsque, avant qu’elle parte, le saint homme lui remet une icône de Marie avec Jésus, Catherine se dépêche de rentrer chez elle et de prier Marie pour qu’Elle lui donne son fils pour époux. La sainte Mère de Dieu sort de ses gonds et lui tient à peu près ce langage : "Tu as chanté tout l’été ? Eh bien danse maintenant !"

Catherine perplexe reprend le chemin de la grotte pour demander conseil au vieil ascète qui, aussi sec, la plonge dans un petit rû qui passait par là afin de la baptiser.

La nuit suivante, Jésus en personne se manifeste auprès de Catherine. Cette fois, il l’accepte comme fiancée, mais lui fait jurer de ne pas accepter d’autre époux sur terre (ce qu’elle n’avait de toutes façons pas l’intention de faire, tellement elle le trouve super beau et merveilleux et superbeau).

Un jour, l’empereur Maximinus qui régnait alors au nom de Rome sur Alexandrie, organise une grande fête païenne à laquelle Catherine est conviée, puisqu’elle est, comme dit plus haut, de famille noble.

Lorsque Maximinus voit cette fille sublime, il manque en renverser son verre de vin au miel et se retrouve vite tout congestionné. Quand il retrouve la parole, c’est pour demander à Catherine si elle veut l'épouser. Bien entendu, elle qui a déjà le plus beau des maris refuse aussi sec.

L’empereur en prend ombrage, surtout que la belle vient de lui filer la te-hon de sa vie en tenant tête aux cinquante des plus grands savants de l’époque, démontant une à une toutes leurs belles théories philosophiques. Pour les punir d’avoir été aussi crétins, Maximinus les flanque tous au bûcher, ce qui égaye la fin de son banquet.

"Décidément", se dit-il, "on ne doit pas s’ennuyer avec cette fille !" et il lui demande encore une fois de l’épouser. Comme Catherine une nouvelle fois refuse, il la fait jeter dans un cachot avec interdiction de lui donner à manger. Elle s’en fiche pas mal vu que son mari, sous forme d’une colombe blanche, lui apporte chaque jour de quoi se sustenter, graines et autre ver de terre (ce qui lui permet de garder la ligne).

Faustina, impératrice de son état, fort curieuse de voir de plus près celle qui a tenu tête à son mari, décide de rendre une petite visite à la jeune fille. Au moment où elle pénètre dans le cachot, elle est éblouie par le visage resplendissant comme un soleil de Catherine. Le coeur de Faustina se brise en mille morceaux devant tant de splendeur et elle va crier grâce chez l’empereur son mari.

Las ! Le bougre a un caractère de cochon et en guise de réponse, il l'envoie se faire décapiter, après quoi il ordonne qu’on fasse subir à Catherine le supplice de la roue, joyeuseté qui consiste à faire rouler ladite roue garnie de pointes de fer sur le corps tendre de la jeune fille.

"Même pas mal !" s’exclame Catherine en faisant exploser la machine par toute la force qui est en elle.

Fort contrit, l’empereur lui fait couper la tête, et de la blessure, à la place de sang, du lait jaillit.

"Je l'ai échappé belle !", se dit Maximinus en se demandant quel genre de petits Maximachins lui aurait fait une fille ayant du lait qui lui coule dans les veines ..

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24 novembre 2016

En silence et en bon ordre

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Boudica entreprend alors de marcher sur Londinium (Londres). Comme à Camulodunum, on a négligé de fortifier la cité. En dépit des lamentations et des supplications de ses habitants, Suetonius se résigne à sacrifier la ville, dans l'espoir de sauver la province. À son tour, Londinium est incendiée, et tous ceux qui n'ont pas fui sont tués, massacrés ou noyés dans la Tamise. Le fleuve charrie des milliers de cadavres.

<< Sur le rivage", écrit Tacite, "se tenait l'armée ennemie avec son déploiement de guerriers en armes, pendant que des femmes couraient entre les rangs, vêtues de noir comme les Furies (***), les cheveux défaits, brandissant des torches. Tout autour, les druides, tendant leurs mains vers le ciel, se répandaient en imprécations sinistres, et ce spectacle étrange épouvanta nos soldats au point que, comme si leurs membres étaient paralysés, ils restaient immobiles et s'exposaient aux coups. Puis, pressés par les appels de leur général et s'encourageant mutuellement à ne pas craindre une troupe de femmes fanatiques, ils se portèrent en avant, brisèrent la résistance, et enveloppèrent les ennemis dans les flammes de leurs propres feux. Une garnison fut ensuite imposée aux vaincus, et leurs bosquets, consacrés à des superstitions inhumaines, furent coupés. Car ils estimaient comme un devoir de couvrir leurs autels avec le sang des captifs et de consulter leurs dieux avec des entrailles humaines."

Après la chute de Londinium, les Romains sacrifient une troisième ville, le municipium Verulamium (St Albans), habité par des Celtes pro-romains. La rumeur des deux autres villes rasées les a convaincus d’évacuer la ville pour sauver leur vie. Tous les habitants périssent dans les flammes ou au cours des combats, pendus ou crucifiés. Verulamium est rayé de la carte.

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Où a lieu précisément l'affrontement final? La plupart des historiens penchent pour l'emplacement de Watling Street dans le West Midlands. Toujours d’après Tacite, les Romains sont en nette infériorité numérique, puisque Boudica entraîne derrière elle environ 230 000 guerriers - soit 20 fois plus que de légionnaires! Mais les Bretons ne doutent pas davantage de leur victoire, du reste comme c’est la tradition chez les Celtes leur famille est installée dans des chariots, près du champ de bataille, afin qu'elles puissent assister à leur triomphe!

La bataille s'engage, digne d'une BD d'Astérix - "On en vint aux mains, les barbares avec de grands cris et des chants de menace; les Romains en silence et en bon ordre" (Dion Cassius) - et comme prévu, elle tourne à l'avantage des Romains : les Celtes, hommes, femmes, jusqu'aux bêtes de somme, tous sont transpercés, massacrés, exterminés, et des masses de cadavres s'entassent dans la plaine. Tacite avance les chiffres de 80 000 morts côté Celtes, contre 400 côté Romains...

Refusant l'humiliation d'une capture et de l'exhibition qui ne manquerait pas de suivre lors d'un triomphe à Rome, Boudica s’enfuit pour se donner la mort avec ses deux filles, en ingérant du poison - c'est du moins ce que rapporte Tacite.

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Si sa mort et la défaite sonnent le glas de la révolte menée par Boudica, l'île de Bretagne ne retrouve pas la paix pour autant. Suetonius compte bien écraser définitivement le moindre embryon de sédition celte. Il ravage les territoires des tribus qu'il soupçonne d'organiser la contre-offensive: les nouvelles tueries s'accompagnent de gigantesques incendies, les Romains brûlant systématiquement les terres, provoquant un début de famine... On dit que pendant ces 17 ans de guerre durant lesquels la Bretagne sera mise à feu et à sang, 70 000 Romains et 80 000 Bretons seront tués!

La révolte des Icéniens, la plus grande rébellion à laquelle les Romains eurent à faire face dans les îles britanniques, fit de la Reine Boudica un symbole de résistance et de courage.

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Statue représentant Boudica, Londres

 

(***) Les Furies? Ce sont les divinités des Enfers chez les Romains...

Et si je vous en parlais dans un prochain post?

20 novembre 2016

Un lièvre de son manteau

Il était une fois, dans la lointaine Bretagne, une jeune Icénienne au doux nom de Boudica qui régnait avec son cousin et époux Prasutagos sur les territoires de l’actuelle Angleterre. Principalement constitué de paysans et d'artisans, ce peuple celtique était relativement isolé entre la mer d'un côté et les forêts de l'autre.

Comme vous le savez maintenant, les femmes celtes jouissaient d'une situation enviable : elles possédaient leurs propres terres, étaient libres de choisir leur conjoint et pouvaient demander le divorce. Par ailleurs, elles occupaient souvent des postes de premier plan dans la société : druidesse, bardesse, guerrière, prophétesse, doctoresse.. D’ailleurs, Boudica elle-même avait reçu une formation druidique.

Un jour de l’an 43, des légions romaines débarquèrent sur l’île. La jeune Celte de 18 ans ne s’en inquiéta guère: des Romains, on en voyait souvent, et puis Rome n’était-elle pas trop occupée à mater les Gaulois, pour songer à coloniser les Bretons?

Mais la prudence est mère de sûreté : Prasutagos décida de léguer la moitié de ses considérables possessions à l’empereur Néron, sans doute pour que celui-ci accepte que Boudica reste au pouvoir. Ce testament a ceci d'étrange qu'il n'est légal ni au regard du droit romain, ni en vertu des coutumes celtes : dans le premier cas, l'héritage royal ne peut se transmettre à des filles et la mort d'un roi entraîne automatiquement la transmission de ses biens et territoires à l'Empereur; dans le second, le chef est désigné par la tribu elle-même et n'a aucun droit de transmettre le royaume en héritage. Cette tentative désespérée de préserver les Icènes est donc vouée à l'échec.

Et c’est bien ce qu’il se passe: à peine le roi icénien passé de vie à trépas, les Romains annexent son royaume, emportent les biens ancestraux des chefs icéniens et les parents du roi comme esclaves. Quant à Boudica, pour les Romains, elle n’est qu’une femme, et qui plus est, une femme barbare. Comme si ce n’était pas suffisant c’est une femme barbare qui n’a pas de fils..

Lorsqu’elle tente de s'insurger, le châtiment est terrible : Boudica est flagellée en place publique, et ses deux filles à peine pubères violées et torturées sous ses yeux. Il s’agit clairement, pour les Romains, d’un acte symbolique qui vise à remettre les femmes à leur place. Tu m’étonnes que les Romaines hésitaient à s’émanciper !

Or, loin de s'effondrer, malgré l'humiliation, la douleur, l'horreur de ce qu'elle vient de vivre, Boudica se relève, enflammée par son désir de vengeance et sa haine face à l'envahisseur romain. Soutenue par les Icènes qui voient en elle leur chef légitime, la fougueuse Celte crie vengeance et prend les armes contre l’Empire, faisant le serment de chasser Rome ou de périr.

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Voici comment la décrit l’historien grec Dion Cassius dans son Histoire romaine : "Elle était très grande, terrible à voir, dans la lueur de ses yeux brûlait la plus grande férocité, et elle était dotée d’une voix puissante. Des cheveux roux flamboyants lui tombaient jusqu'aux genoux, et elle portait un torque d'or décoré, une tunique multicolore et un épais manteau retenu par une broche. Elle était armée d'une longue lance et inspirait la terreur à ceux qui l'apercevaient."

Après avoir rallié les Trinovantes, une tribu voisine dépossédée de ses terres, et d’autres tribus du nord lasses du joug romain, la reine guerrière prend la tête de 100 000 rebelles armés jusqu’aux dents, malgré l'interdiction romaine faite aux Celtes de stocker des armes. Tout ce petit monde fond sur la colonie romaine de Camulodunum (*).

"Or, une statue de la Victoire érigée à Camulodunum tomba sans cause apparente et se trouva tournée en arrière, comme si elle fuyait devant l'ennemi. Des femmes agitées d'une fureur prophétique annonçaient une ruine prochaine. Le bruit de voix étranges entendu dans la salle du conseil, le théâtre retentissant de hurlements plaintifs, l'image d'une ville renversée vue dans les flots de la Tamise, l'océan qui avait pris la couleur du sang, et sur la plage comme des dessins de cadavres humains abandonnés par le reflux, toutes ces choses remplissaient les vétérans de terreur et les Bretons d'espérance.", écrit Tacite (**), comme autant de signes d'inquiétude pour les Romains que l'on sait si superstitieux...

Boudica, quant à elle, se tient prête à combattre. Debout sur son char avec ses filles à ses côtés, elle harangue son peuple en ces termes :

"Je ne viens pas réclamer mon royaume et ses richesses; je viens comme une simple femme, venger ma liberté ravie, mon corps déchiré de verges, et l'honneur de mes filles indignement flétri. L'avidité romaine est allée si loin que ni nos personnes, ni l'âge ni la virginité, n'ont été épargnés par la souillure. Mais les dieux seront favorables à une juste vengeance; les légions ne pourront même pas soutenir le vacarme et les cris de nos milliers d'hommes, encore moins nos assauts et nos coups. Que l’on pèse bien la force des deux armées et les causes de la guerre, on verra que dans cette bataille il faut vaincre ou mourir. C’est en tout cas ma résolution de femme. Quant aux hommes, vous pouvez choisir de rester en vie et d’être esclaves." (Tacite, toujours)

Après ce discours incendiaire, la reine sort, non un lapin de son chapeau, mais un lièvre de son manteau, ce qui est pris comme un heureux présage.

Tandis qu’une grande partie de l’armée romaine est engagée de l’autre côté de la province pour détruire l’île Mona, centre druidique de résistance, Boudica rase Camulodunum : en un seul jour, toute la ville est incendiée, livrée à la furie des assaillants qui massacrent tous les Romains qu'ils croisent.

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La garnison se réfugie dans le temple de Claude qui est détruit au bout de deux jours de siège ; la ville est entièrement brûlée. Une légion romaine, accourue à la rescousse, est encerclée et anéantie. Dans des forts éloignés, les Romains sont égorgés.

Boudica entreprend alors de marcher sur Londinium (Londres)...

(À suivre)

(*) Camulodunum est l’oppidum (ville) du peuple breton des Trinovantes, situé près de l'actuelle ville de Colchester dans le comté d’Essex. Son nom signifie "forteresse de Camulos" (dieu guerrier très redouté).

(**) Du fait que les Celtes ne laissaient pas de traces écrites, Boudica est sortie du silence de l’Histoire essentiellement grâce au récit de Tacite, historien romain, qui rédige en 98 après JC, La Vita Iulii Agricolae, une biographie de son beau-père ayant participé aux événements. Il parle également de Boudica dans ses Annales.

On utilise pour désigner la reine celte le nom que lui ont attribué les historiographes romains qui étaient ses contemporains : Boadicea en anglais, Boudica en latin, Boadicée en français, Βοδουικα  en grec.

18 novembre 2016

Les pêcheurs de lune (2)

Tandis que tout le monde se penchait au dessus du récipient pour mieux voir et se lamenter, la surface de l’Oise reprit sa tranquillité et la bouture de lune se remit à luire dans toute sa splendeur. On recommença l’opération, mais en vain. La lune semblait narguer ses adversaires. Ce fut à chaque fois un beau concert de lamentations, de regrets, de remue-ménage auxquels répondirent bientôt les grognements des cochons dans l’enclos du forgeron, que le bruit avait réveillés...

- Ils ont l'air d'avoir faim tes porcs, tu ne les nourris donc jamais?

- Si je les nourris ? Ils mangent mieux que toi, par Toutatis ! La lune est dans ma mare et je te prie de me parler sur un autre ton!!

- Alors pourquoi crient-ils ?

- Mes cochons crient parce qu’ils ont l’habitude de manger quand ils ne dorment pas. Ils mangent ou ils dorment, voilà ce qu’ils font mes cochons !

- Alors va les nourrir ! Leurs cris nous empêchent de nous concentrer et la lune doit être pêchée avant le jour !

La forgeronne en haussant les épaules retourna à sa cabane chercher un sac de son. Mais au lieu de se diriger vers l’enclos, elle revint vers la mare en s’écriant :

- Je crois que j’ai une idée! Par Lug, vous avez sacrément de la chance de m’avoir dans le village!

Et la voilà qui répand le son à toute volée sur la surface de l’eau aussi loin qu’elle peut.

- Va à l’enclos, dit-elle à son mari, et ramène-moi une grosse truie! La plus grosse !!

- La plus grosse? Pourquoi faire, ô ma femme?

- J’ai dit la plus grosse parce qu’il me faut la plus grosse! Réfléchis, homme de peu de cervelle, il me faut celle qui a le plus gros estomac! Ah! Tu peux te réjouir de m’avoir pour femme car tu vas voir ce que tu vas voir!

Le forgeron ramena une truie avec un ventre comme une barrique. La femme défit la corde du seau et l’attacha, bien serrée par un bout, à la queue de la bête.

- Aidez-moi à la pousser vers la mare, ordonna-t-elle à la foule subjuguée. Et mettez-lui le nez dedans !

La surface de l’eau sentait le son. La truie, alléchée, se mit à patauger tant et tant, et elle se régalait, elle se régalait …

- Elle mange! Elle mange! Ça y est!! Elle l’a avalée!

En effet, dans l’eau brouillée, l’image de la lune avait complètement disparu. Si vous aviez vu les gens se congratuler et laisser exploser leur joie! Seule la forgeronne gardait la tête froide.

- Maintenant, ordonna-t-elle, que les hommes les plus forts tirent sur la corde pour ramener la cochonne.

On tira, on tira. Han! han! La truie, le groin dans la vase, poussait des hurlements désespérés et se débattait, se débattait.. Dans la fange liquide qu’était devenue la mare, plus trace de lune… À vrai dire, plus trace d’eau non plus …

- La gourmande n’en a pas laissé un seul morceau!

Chacun, extasié malgré l’aspect rebutant de la bête, voulait toucher ce boueux instrument du miracle.

- Mais comment va-t-on récupérer la lune maintenant?

La forgeronne toisa l’impudent :

- Comment, on ?? C’est moi qui vais récupérer la lune qui était dans ma mare et que ma truie a avalé! Je ne veux plus personne autour de moi! Allez, ouste!

La superbe rentra chez elle avec sa truie et mit tout le monde à la porte. Elle ordonna à son mari d’aiguiser un grand couteau et d’apporter du bois pour relancer le feu, car on n’y voyait goutte.

- Je devais la sacrifier la semaine prochaine, ça tombe bien. Aide-moi, mon homme! Nous appellerons les autres quand nous aurons terminé.

Devant la cabane close, la foule navrée attendait en retenant son souffle.

On entendit des cris perçants.

- C’est la truie qu’on égorge ! expliqua celui qui avait collé son oreille à la porte.

Puis des éclats de voix.

- La forgeronne dit qu’il faut ouvrir l’estomac. Le forgeron proteste qu’il est fatigué. La forgeronne le traite de paresseux.

Un silence.

- Ils ouvrent l’estomac.

Des bruits sourds.

- Ils le mettent dans un plat.

Un silence.

- …

Un long silence.

- …

Un bruit de claques.

- Le forgeron gifle sa femme.

Un gros boum.

- La forgeronne casse un pot sur la tête de son mari.

Un très gros boum.

- C’est le plat qui tombe.

Un silence. Un grésillement. Un très long silence. Une exclamation. Un éclat de rire. Des bruits non identifiés.

- Ils cherchent quelque chose.

La porte s’entrouvrit. La forgeronne parut, un couteau à la main.

- Allez me chercher un fuseau avec un très long fil de laine !

On alla chercher le fuseau. La porte se referma.

- Par Bélénos, elle va pendre son mari !

- Ou lui couper la tête !

La porte s’entrouvrit de nouveau. Le forgeron parut.

- Ouf ! Il vit encore !

- Que chacun apporte un petit pot en terre !

Chacun alla chercher un petit pot. La porte se referma.

- Et la lune ? Où est la lune ?

- La lu-mière !! La lu-mière !!!!

Enfin, la porte s’ouvrit toute grande sur la hutte illuminée. Miracle !

- Elle est là la lumière, imbéciles!

Devant le foyer, bien alignés, les petits pots abritaient une flamme vive. Pas un coin de la cabane n’était restée dans l’ombre. Jamais, même en plein jour, on n’avait si bien vu à l’intérieur d’une maison dont la porte étroite et les fenêtres minuscules laissaient entrer plus de froid que de soleil…

Solennellement, la forgeronne remit à chacun son lumignon.

- Voici, dit-elle, la lumière que nous avons trouvée.

Quand on se fut bien réjoui et qu’on eut bien félicité la futée, quelqu’un osa demander :

- Mais comment avez-vous donc fait? Et pourquoi le fuseau de laine et le couteau?

- Le couteau, expliqua la forgeronne, c’était pour couper la laine en petits morceaux. Chaque morceau trempe dans la graisse de chaque petit pot.

- Mais la lune? La lune que la truie a avalée?

- Ce que vous êtes bêtes! dit la forgeronne. Quand nous avons ouvert la truie nous n’avons rien trouvé!

- Alors j’ai giflé ma femme.

- Alors j’ai giflé mon mari.

- Alors j’ai re-giflé ma femme, et son fuseau de laine est tombé dans la bassine de lard, la bassine est tombée dans le feu, le feu a pris à la laine imprégnée de graisse et cela s’est mis à brûler lentement et à donner une lumière douce comme celle de la lune…

- Alors nous avons fait fondre toute la graisse que nous avons mis dans chacun de vos pots avec une mèche de laine, et par une branche enflammée nous les avons tous allumés. Voilà. Maintenant grâce à ces petits pots de lumière nous n’avons plus besoin d’attraper la lune. Ah lala, vous pouvez bien tous nous remercier…

En vérité, la truie avait-elle avalé la lune ? Nul ne saurait le dire. L’important n’était-il pas d’avoir trouvé la lumière ? Plus jamais on ne la perdit, et plus jamais on n’eut besoin de jeter des porcs dans la rivière...

cochon

16 novembre 2016

Les pêcheurs de lune

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Jadis, en bordure de la forêt de Carnelle, à une journée de marche en amont du confluent de l’Oise et de la Seine, il y avait à l’emplacement de l’actuelle ville de L’Île-Adam, dans le Val d’Oise, une bourgade celte connue sous le nom de Noviangetumn.  

Tout aurait été pour le mieux dans le meilleur des mondes antiques si la lune n’avait donné autant de soucis aux habitants de Noviangetumn. En effet, ils ne se consolaient pas de voir cet astre capricieux disparaître en partie ou en totalité sans qu’ils sachent pourquoi. Pourtant, ce n’était pas faute de l’honorer d’un culte scrupuleux et de l’implorer quotidiennement afin qu’elle se montre toujours dans toute sa splendeur. Peine perdue : certaines nuits, la lune s’amenuisait mystérieusement pour reparaître de la même façon. Cette infidélité provocante laissait les pauvres Noviangetumnois perplexes.

Les anciens, lorsqu’on leur posait la question, prétendaient en hochant gravement la tête qu’il n’en avait pas toujours été ainsi. Néanmoins, ils se montraient incapables de préciser l’origine de ces disparitions, si régulières qu’on s’y référait pour mesurer le temps.

- Mais pourquoi repousse-t-elle tous les mois ?" leur demandait-on.

- Par Bélénos!! Elle repousse parce que ... c'est une sorte de champignon!"

Personne ne paraissait convaincu, car il fallait encore expliquer pourquoi ce champignon céleste se promenait au-dessus de la tête des gens et comment il s’accrochait.

Autre mystère : le soleil. D’où venait ce feu bienfaisant qui se montrait si féroce l’été alors qu’il faisait chaud et si timide l’hiver, quant on en avait le plus besoin ? Les habitants de Noviangetumn vivaient donc dans la crainte de voir l’astre du jour se mettre à disparaître comme l’astre de nuit, ce qui, hélas, se produisait parfois (à chaque terrifiante éclipse). Bien sûr, à l’intérieur des huttes, de grands feux étaient entretenus sous les marmites pansues. Mais par les nuits sans lune, la campagne alentour paraissait immense et hostile malgré les miettes de lune éparpillées que sont les étoiles et qui ne suffisaient pas à la remplacer.

- Par Toutatis, que deviendrions-nous sans soleil et sans lune, dans la nuit noire ?"

**

Un jour, un Noviangetumnois plus futé que les autres suggéra de se rendre à l’endroit où le soleil surgissait de terre chaque matin, là-bas, vers l’est, dans le but d’en attraper un morceau. Il suffirait ensuite de grimper au plus haut sapin et de lancer la lumière solaire ainsi capturée pour ré-ensemencer le ciel. Ce serait plus facile que de dérober un fragment de lune car pour cela, il aurait fallu voyager jusqu’au bout de la nuit.

Sitôt dit, sitôt fait. On le vit alors partir en direction de l’orient en tête d’une cohorte de chariots transportant de grandes jarres aptes à contenir des fragments de soleil.

Arrivés au bout du plateau, les hommes de l’expédition attendirent le lever du jour. Las! Le soleil brillait encore plus loin. Ils se remirent en marche, et sans doute cherchent-ils encore, car on ne les a jamais revus.

Or, ne voilà-t-il pas qu’un soir de pleine lune, on entendit de grands cris du côté de la cabane du forgeron. C’était la femme de cet artisan qui criait :

- Venez, venez voir!! Elle est là!"

Tout le monde sortit et se précipita vers la mare où le forgeron avait l’habitude de faire tremper le fer chauffé à blanc. La bouche de tous les Noviangetumnois s’arrondit d’extase : c’était vrai, la lune était là! Au milieu de l’eau, elle luisait doucement. Un morceau de lune tombé ici sans qu’on sache comment avait repoussé dans l’Oise !

- Ah, cette fois elle ne nous échappera pas !!"

Le forgeron, tout pénétré de son importance, déclara à tout un chacun que ce miracle ne l’étonnait pas: le Dieu protecteur des forgerons n’était-il pas le grand Lug, esprit de la lumière ? Et lui-même n’était-il pas le meilleur et le plus scrupuleux des ouvriers?

Nul n’en doutait. Pensez si on le félicita ; restait à repêcher ce morceau de lune bien tentant.

On alla quérir un grand seau qu’on attacha à une corde, et hop ! le plus âgé et le plus jeune du village le lancèrent au milieu de la mare où il atterrit avec un grand plouf. On hala le seau. Las! Il était vide! Rien qu’un peu d’eau boueuse qui n’éclairait rien du tout ...

Tandis que tout le monde se penchait au dessus du récipient pour mieux voir et se lamenter, la surface de l’Oise reprit sa tranquillité et la bouture de lune se remit à luire dans toute sa splendeur.

On recommença l’opération, mais en vain. La lune semblait narguer ses adversaires. Ce fut à chaque fois un beau concert de lamentations, de regrets, de remue-ménage auxquels répondirent bientôt les grognements des cochons dans l’enclos du forgeron, que le bruit avait réveillés ...

(À suivre)

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12 novembre 2016

Une femme non plus

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Je me suis mise à crier. Le visage vers le ciel, les bras levés, de la douleur plein le corps, j’ai hurlé comme le font les lionnes à la lune : "Yhwh, aide-moi ! Je t’en supplie, aide-moi !", m'adressant sans honte au Dieu Très-Haut d’Abraham, même s’il ne m’entend pas. Car en réalité, je n'en sais rien, s'Il m'entend. Juste, j'ai besoin de hurler, de hurler ma douleur qui me fait une brûlure lancinante au dedans. Je ferme les yeux, je respire doucement, je pars en apesanteur en espérant que la douleur s’arrête. Mais ça ne s’arrête pas. Les yeux fermés, c’est pire : je les imagine. Je vois Abraham toucher cette femme que je lui ai donnée pour qu’elle lui fasse un fils. Je vois ses mains sur elle, cela me fait un mal de chien, un p'.. de mal de chien ! Alors je cours, je cours à perdre haleine, pour ne pas pleurer, pour ne pas hurler, mais je hurle quand même, je hurle longtemps, un cri transparent, inaudible, pris dans le fracas du vent, agenouillée dans le ruisseau glacé avec les cuisses griffées par les buissons de menthe qui bordent la rive.

Cette nuit-là, je suis restée longtemps dans l’eau. Si longtemps que j’aurais pu en mourir.

Au petit jour je suis allée voir Abraham.

- Mon époux, c’est trop dur. Ma jalousie est trop grande. Je ne veux te faire honte ni gâcher le bonheur que te donne un fils, mais laisse-moi juste dresser ma tente là-haut, loin sous les térébinthes".

Il n'a rien dit. Maintenant qu’Ismaël peut sauter sur ses genoux, que je sois près ou loin ça lui est bien égal. Il me laisse partir.

À l'écart sous ma tente, sans même une servante, enfin je peux dormir. Je dors deux jours, peut-être trois, je m'éveille juste pour boire un peu de lait et je replonge dans le sommeil. C'est bon comme mille caresses. Je m’apaise. Pourquoi lutter ? Pourquoi ne pas accepter ce qui est ? Pourquoi tant de cris, tant de souffrance, alors qu’un enfant d’Abraham est né et que c’est tout ce que je souhaite ? Je ne suis pas la mère de l’enfant, et alors ? Est-ce si grave ? On le nommera "fils d’Abraham" de toutes façons, quand bien même je ne l'ai pas porté.

Un jour je me glisse à la rivière. Et voilà que je découvre des petites taches sombres sur mes mains, il y en a plein, partout. Le soir encore je les examine avec une curiosité mêlée de délice. Et voilà que j’observe les muscles de mes bras : ils s’amenuisent comme peau de chagrin. Et puis un pli sur mon ventre, et un pli encore. J’examine mes seins. Ils ne sont plus ronds et hauts, ils ne sont plus fermes. Je les soupèse, ils sont flasques sur ma paume. Je cours remplir une jatte d’eau pour me mirer dedans. Des rides ! Mon Dieu, des rides sous mes yeux, autour de mes yeux !!! Des rides sur le haut de mes pommettes, des dizaines de rides minuscules autour de mes lèvres !

Ma beauté s’en est allée!

Je hurle de joie, je danse et je ris tout à la fois. Enfin je vieillis ! Enfin la beauté me quitte, cette beauté qui avait fait retourner tant d'hommes sur ce ventre creux!

Je ne cesse de m’ausculter, de me mirer dans l’eau, comptant mes rides, mesurant la chute de mes seins, les plis de mon ventre, me saoulant de bonheur. D’en bas, dans les tentes d’Abraham en me voyant on doit se dire "Sarah à force d'être toute seule livrée à sa jalousie, voilà qu'elle perd l’esprit pour de bon !"

Peu m’importe. Je suis folle oui, folle de joie ! Le temps enfin revient dans mon corps. Peut-être après tout, Ywhw m’a-t-il entendue ? Il a entendu ma plainte! Il a brisé le prodige de cette beauté inutile qui faisait se retourner les hommes, Il m'apaise de la douceur de la vieillesse. Mon tourment va cesser : plus question d’enfanter!

Quelques temps plus tard, Abraham monte jusqu’à moi, le visage grave et soucieux. Veut-il que je m’éloigne plus encore ? Je me tiens prête.

Je le fais asseoir confortablement, lui apporte à boire et à manger. Lorsqu’enfin son regard est dans le mien, je dis :

- Mon époux, je t’écoute.

- Ywhw m’a parlé ce matin. Il m’a dit : "Je fais alliance avec toi. Mon alliance s’inscrira dans votre chair. Je bénirai aussi ta femme, et je te donnerai un fils d’elle. Il s’appellera Isaac."

Je crois que le ciel a tremblé pendant qu’Abraham a prononcé ces mots. À moins que ce ne soit mon coeur et mon ventre tout à la fois. Ma bouche aussi a tremblé. J’ai pensé à mes cris dans le ruisseau, mes longs cris de douleur dans la lune éblouie. Oui, il se peut que j’ai pensé à tout cela, mais j'ai aussi pensé à nous deux, la vieille Sarah et le vieil Abraham, et je nous ai imaginés nus l'un contre l'autre, et j’ai eu envie de rire.

Les yeux de mon époux ont brillé sous ses paupières, moqueurs et radieux comme ceux d’un jeune homme.

- Tu ne me crois pas, n’est-ce pas ?

- Abraham, as-tu remarqué comme je suis devenue vieille ?

- Vieille ? Non. Tu me sembles seulement avoir le visage de ton âge, et j’en suis enchanté.

- Allons mon doux époux, cesse de rêver ! De quel ventre sortirait-il, ce fils ? Cet Isaac ?

- Du tien ! De celui de Sarah !

- Et venant de quelle semence ?

- Oh je vois ! Ce n’est pas de toi que tu doutes, mais de moi !

Je n’ai pu retenir un rire grand comme un soleil.

- Oh que non, toi tu es capable de tout !! Mais moi, après tout ce temps, c’en est enfin fini de ma souffrance. Je suis ridée et stérile comme je dois l’être. Voilà.

- Mais Sarah, il nous suffit juste de ... de ... Mais bon sang, vas-tu arrêter de rire ???!!

Mon fou rire ne cessait pas. J’ai enlacé mon vieil époux. J’ai pris sa tête entre mes mains, lui baisant les yeux, lui posant le front contre ma joue :

- Abraham, tu n’avais pas besoin de tant de mots pour revenir dans ma couche tu sais ... Mais ne te fais pas d’illusions, celle que tu y trouveras ne soutient pas la comparaison avec la jeune mère d’Ismaël!

Mon époux m’a prouvé le contraire. En me comblant dans un plaisir calme et moelleux que je n’avais jamais connu.

Me sont alors revenus des mots que j’entendais lorsque j’étais encore jeune vierge :"On n’a jamais vu un homme se lasser de ces choses-là. Même branlants, tant qu’ils peuvent dresser le manche, ils se rêvent encore bûcherons !".

Mais une femme non plus ne s’en lasse pas... Oh Dieu non ! Une femme non plus ne s’en lasse pas ...

 

:*·.¸¸.·´¯`·.¸¸.☆

Sarah est la première femme (après Ève) dont on raconte l’histoire dans la Bible.

Malgré la promesse de Dieu que son mari Abraham soit le père de nombreuses nations, donc qu’il ait une infinie descendance, Sarah reste désespérément stérile. Elle décide alors d’offrir sa servante égyptienne Agar à son mari, dont il aura Ismaël.

Finalement, c’est à plus de 80 ans que Sarah donnera un fils à son époux centenaire : Isaac, qui veut dire il rira...

11 novembre 2016

Έλπίς

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Il était une fois au IIe siècle de notre ère une femme très pieuse qui habitait loin, très loin, dans cette partie du monde que les Romains appelaient l’Asie Mineure et qui comprenait une contrée qui a émerveillé ma jeunesse : la Grèce.

Sophia (c’était le nom de cette femme) se vouait corps et âme au Seigneur Jésus-Christ, si bien qu’un jour, tous ses efforts portèrent leurs fruits sous la forme d’une première fille qu’elle appela Pistis (la foi). Comme elle était très pieuse, elle refit quelques exercices qui lui donnèrent encore Elpis (l’espérance) et Agapis (l’amour).

Sa vertu et sa dévotion étaient vantées à travers tout le monde romain et un jour, cela arriva aux oreilles de l’empereur Hadrien qui se languissait dans son palais en mâchouillant des petits lézards rôtis. Il lui prit alors l’idée de vérifier par lui-même l’étendue de la sagesse de Sophia et fit ordonner qu’on la fasse venir avec ses filles.

Lorsqu’elles se retrouvèrent devant lui, il fut direct atomisé par leur beauté piété, et se dit que si le ramage des filles se rapportait au plumage de la mère, il ne s'ennuierait plus jamais l'hiver. Il proposa donc à Sophia de lui confier les petites qui avaient respectivement 8, 10 et 11 ans.

Bien que fort pieuse, Sophia n’était pas complètement idiote et elle retourna son nez, qu’elle avait aussi grec que celui de Cléopâtre.

Ce qui contraria méchamment Hadrien.

Qu’avait-il bien pu dire de mal? se demanda-t-il en essuyant la bave qui lui coulait sur le menton.

Vexé par le refus de Sophia, il fit capturer les trois fillettes dans l’espoir insensé qu’elles lui donnent ce que leur mère venait de refuser. Manque de bol, les gamines avaient le caractère de cochon de leur mère.

Hadrien décida que ça n’allait pas se passer comme ça et il ordonna à trente-six de ses soldats de faire fouetter Pistis (pourquoi trente-six ? Ben pour qu'ils se relayent, tiens !) qui ensuite lui arrachèrent les seins. Après quoi on la colla sur le gril, mais trop d’la balle, Pistis ne sentait rien vu que c’était une sainte, alors ils la plongèrent dans une chaudière pleine d’huile bouillante, mais comme ça ne lui faisait toujours rien, dégoûtés, ils furent obligés de l’achever en la décapitant.

Pistis les avait tellement contrariés que pour Elpis, ils se contentèrent de la jeter dans de la résine bouillante puis de la décapiter. À quoi ça servait qu’ils se décarcassent hein, on se l'demande, pour ce qu’ils en avaient comme retour ?

Quand vint enfin le tour d’Agapis, les soldats avaient repris des forces et eurent l’idée géniale de lui disloquer les membres en la frappant à coups de bâtons, idée qui a largement fait le tour du monde depuis.

C’est comme ça qu’en ces temps anciens, de pauvres soldats innocents furent obligés de se farcir des trucs qu'ils n'avaient pas du tout envie de faire.

Et après on s'étonne que plus personne veut s’engager...

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© Goscinny et Uderzo

NB Les mésaventures de l’empereur Hadrien ont fait le tour du monde antique et nous sont parvenues avec les noms slaves des protagonistes, à savoir Sonia pour la mère, et Véra, Nadejda et Liubba pour les trois fillettes.

10 novembre 2016

Comme des orphelins

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C’était il y a très longtemps, à l’époque où les Romains n’avaient pas encore envahi la Gaule celtique. À l’endroit où se trouve aujourd’hui la ville de Lieusaint s’étendait une immense forêt [l'actuelle forêt de Sénart, en Seine-et-Marne].

Cet endroit, les Romains l’appelleront plus tard locus sanctus, traduction de son nom celte lieu sacré. En effet, au cœur de cette forêt magnifique et touffue se trouvait une clairière où jaillissait une source d’eau claire et très pure. Cette clairière était le refuge d’une fée qui protégeait les forêts et les cours d’eau : la Dame bleue.

La Dame bleue avait la particularité de vivre au rythme des saisons. Vous vous rappelez que pour les Gaulois, il n’y en a que deux. Eh bien c’est au cours de la saison froide que la Dame bleue se réveillait. Le calme et la paix de cette période lui permettaient de sortir lentement de son long sommeil. Elle s’amusait alors à faire craquer la neige sous ses pieds ou à observer l’hibernation des animaux des bois. Quand venait le printemps, la Dame bleue fertilisait la terre. Elle chantait la beauté des bourgeons et la joie des naissances avec les animaux de la forêt. Elle dansait avec les poissons et les oiseaux dans une folle sarabande qui la conduisait jusqu’à la chaleur étouffante de la saison que nous appelons aujourd’hui l’été. 

C’est à ce moment-là que la Dame bleue se rendormait, laissant son souffle et son corps nourrir les végétaux. Ce qui fait que pendant notre actuel automne, la Dame bleue dormait profondément. Les arbres se sentant comme des orphelins laissaient leurs feuilles tomber par terre. La nature se taisait pour attendre dans le silence le retour de sa fée.

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Seulement voilà, la fée ne se réveillait que lorsqu’on accomplissait un certain rituel. C’est pour cela que les druides se réunissaient dans cette clairière pour lui rendre hommage deux fois par an, au solstice d’hiver (1er novembre), que les Celtes appellent Samain, et au solstice d’été (1er mai), c’est-à-dire Beltaine.

De plus, les Gaulois étaient persuadés que s’ils ne célébraient pas la Dame bleue, le printemps ne viendrait pas, les arbres ne donneraient que peu de fruits et la chasse serait mauvaise. Alors ils chantaient pour elle et lui faisaient des offrandes dans le but de la réveiller de son long sommeil. Ils jetaient dans les cours d’eau des colliers de fleurs séchées teintes en bleu.

Lors de la cérémonie de Beltaine, les rites qui annonçaient le début de son long sommeil étaient les mêmes, seuls les chants étaient différents et au lieu de colliers de fleurs, des grains d’orge et de blé étaient jetés à l’eau.

Avec l’arrivée des Romains, puis du Christianisme, les gens petit à petit ne se rendirent plus aux cérémonies. Seuls les druides continuaient à les célébrer. Si bien que la Dame bleue dormait de plus en plus longtemps, ne se réveillant que tous les deux, trois ou cinq ans.

Puis un jour, au VIIe siècle, un moine itinérant du nom de Quentien vint dans la région en quête du locus sanctus, ce lieu sacré gaulois dont ses ancêtres, qui étaient des druides, lui avaient parlé. Il se mit à chercher la clairière sacrée, apprenant aux gens ce qu’il savait en échange d’un peu de nourriture pour vivre. Mais les ruisseaux et les sources étaient si nombreux dans cette forêt qu’il chercha longtemps, longtemps .. En vain.

Un jour, il se perdit dans la forêt et finit par s’endormir. Quand soudain, il se réveilla en pleine nuit et aperçut une forme diaphane et bleutée. Cette forme était celle d’une femme d’une telle beauté que le moine en fut tout ébloui.

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Vous l'avez compris, cette femme était la Dame bleue. Elle dit au moine : "Si tu pratiques comme autrefois les cérémonies qui me permettent de me réveiller, je te donnerai le pouvoir de guérir les gens".

Quentien accepta. Il célébra donc de nouveau les cultes à la Dame bleue, comme le faisaient les Gaulois autrefois. Il put ainsi guérir les gens et en particulier des enfants. De partout, on venait pour qu’il guérisse, et on le considérait comme un saint car il faisait le bien autour de lui.

Quentien avait pris soin d’écrire toute l’histoire pour qu’on sache ce qu’il fallait faire pour réveiller la Dame bleue. Lorsqu’il mourut, en l’an 669, les habitants de Lieusaint le prirent comme le patron protecteur de la ville.

Les années s’écoulèrent. Un jour, le roi de France Charles V se promenait dans la région, et il aperçut une lumière étrange dans la forêt. Intrigué, il s’approcha et découvrit une femme magnifique, à l’aura bleutée. Elle caressait une biche, et sur son épaule se tenaient un écureuil et une mésange qui semblaient s’amuser avec elle. Mais l’approche bruyante du Roi les effraya et la Dame bleue s’enfuit. Le Roi chercha longtemps pour retrouver la fée, mais jamais jamais il ne la retrouva.. Elle avait disparu. Alors les habitants de Lieusaint lui firent lire ce que Quentien avait écrit sur la Dame bleue, et il se mit lui aussi à chercher la source miraculeuse au milieu de la clairière où vivait la fée ... En vain.

Deux siècles plus tard, ce fut le roi Henri IV qui tomba amoureux de la Dame bleue après l’avoir aperçue un jour dans la forêt. Comme Charles V il la chercha sans jamais la retrouver. À cette époque, elle dormait plus de cinq années, et ne restait éveillée que quelques mois seulement. Peut-être d’ailleurs aurait-elle dormi d’un sommeil éternel si elle n’avait croisé le chemin d’un jeune homme du nom de Charles-Thomas Alfroy, pépiniériste de son métier, qui tomba instantanément amoureux d’elle comme tous les hommes qui la voyaient. Un pacte fut scellé entre eux : Charles s’engageait à ce que sa famille perpétue le culte de la Dame bleue, et en échange, la fée ferait pousser dans leurs pépinières les plus beaux arbres du monde. D’ailleurs, très vite, la réputation des arbres des Alfroy fut telle que Louis XIV les réclama pour le château de Versailles.

Seulement voilà, en 1789 eut lieu la Révolution Française. Pour la protéger et qu’elle ne soit pas emprisonnée par les Révolutionnaires, les Alfroy ne célébrèrent plus le culte.

Depuis, la Dame bleue dort d’un sommeil éternel ...

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Texte que j'avais écrit pour mes petits-fils,

à un temps où je pouvais encore les émerveiller avec autre chose qu'Ibrahimović ...

8 novembre 2016

Le Salomon des Francs

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Chers amis,

je comprends votre désarroi, que dis-je, votre désarroi ? votre détresse, à vous qui vîntes de tous les coins de France et de Navarre pour savoir si Dago la portait à l'envers, et qui pour toute réponse vous heurtâtes à un silence vertigineux.

On se moque de nous à la fin ! Remboursez !

Mes amis, mes amies, du calme : l'heure de la vérité a enfin sonné. Vous croyiiez jusqu’alors (puisqu’on vous l’a pernicieusement fait croire) que ce bon vieux Dagobert était tellement distrait qu’il se prenait les pieds dans les tapis et chutait, sous les regards ahuris de ses sujets, emberlificoté dans ses braies enfilées à la va-vite. Eh bien c’est vrai. Mais pas parce que c’était un Pierre Richard de l’an 700. Non non.. Dagobert était un Don Juan et passait sa vie à se déshabiller et à se rhabiller n’importe comment.

Je sais : ça fait mal d’apprendre ça.

Que je vous narre la chose par son début.

Tout commença un beau jour de 603 à Clipiacus (Clichy), avec la naissance d'un petit être fragile et chou que son papa, le trop célèbre Clotaire II (fils des non moins célèbres Chilpéric et Frédégonde) appela Dagobert, ce qui signifie "grand jour", tellement il était content que la Providence lui accordât encore un héritier pour ses vieux jours, vu qu’il avait zigouillé tous les précédents (ceci dit, Dagobert portait bien son nom, car - Dieu soit loué - il n’avait pas grand-chose à voir avec ses terrifiants aïeux, puisque lui, lorsque par un pur hasard son frère Charibert est mort en 632, il a juste fait assassiner son neveu, mais c’était dans un noble but de conciliation : éviter un nouveau partage) (vous vous rappelez que chez les Francs, au contraire des Bourbons et autres Valois beaucoup plus tard, le royaume était censé être partagé en parts égales entre tous les fils) (tradition à laquelle, entre parenthèses, Dagobert est le premier à ne pas se soumettre, comme on va le voir pas plus tard que tout de suite - et là, on peut dire que c’était un précurseur, et pas seulement en matière de mode vestimentaire).

Quand Dago eût atteint l’âge vénérable de quinze ans, son père qui n'était toujours pas mort décida de l’associer au pouvoir royal afin de pouvoir se la couler douce entre les bras de la jeune et sublime dernière arrivée dans son harem, à savoir Sichilde. Comme Clotaire avait finalement un bon fond malgré tout ce qu’on a raconté à son sujet, il décide de faire profiter son fils de l’aubaine et lui colle dans les bras la sœur de Sichilde, Gomatrude, en lui sommant de l’épouser.

Mais Dago n’est pas dupe : ce n’est pas une vulgaire femelle qui va lui faire oublier que son père ne lui a refilé qu’un tout petit bout de l’Austrasie. S’ensuit une joyeuse joute verbale dont les Francs ont le secret, au terme de laquelle Dagobert récupère la Champagne et la Brie.

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Quant à la pauvre Gomatrude, elle ne fait pas long feu dans la couche royale puisqu’à peine quelques mois s’écoulent avant que le roi d’Austrasie ne croise la route de la douce Nanthilde, ce qui fait qu’aussi sec il répudie Goma.

Il faut dire que, tout comme les femmes romaines, les femmes franques étaient si peu de choses .. On les épouse, on les viole, on les répudie, on se demande même si elles ont une âme ..

À Clipiacus, Dagobert et Nanthilde, s’étant aimés tout l’été, se trouvèrent fort dépourvus quand la bise fut venue : pas l’espoir du moindre petit Dago en vue, malgré toute l’énergie qu’ils mettaient à l’ouvrage. Or, le roi allait sur ses trente ans, autant dire qu’il avait déjà un pied dans la tombe. Il lui fallait un héritier, et vite.

C’est comme ça que - uniquement par devoir - il se résolut à chercher une autre femme. Comme les filles du palais n’avaient pas été renouvellées depuis son mariage avec Nanthilde et qu’il les avait déjà toutes mises dans son lit du temps de Gomatrude, il entreprit de faire un petit voyage de prospection dans la région d’Augustomagus (Senlis), où les femmes avaient la réputation d‘être belles et ardentes. Naturellement, il emmena Nanthilde avec lui car il la savait de goût très sûr.

Nanthilde n’était pas une nounouille comme Gomatrude : elle n‘embêta pas Dago avec une bête jalousie déplacée, ce qui lui permit de rester dans la place quand le roi jeta son dévolu sur la charmante Ragnétrude qui lui donna un fils (Sigebert) en 631.

Pour fêter cet heureux événement, il prit une nouvelle concubine du nom de Wulfgunde, laissant Ragnétrude pleurer dans les bras de la reine Nanthilde.

S’ensuivit de la part de Dagobert une frénésie amoureuse qui lui valut le surnom de "Salomon des Francs". Exit le grand roi qui avait gouverné pendant quinze ans, entouré d’excellents conseillers comme le bon Saint Éloi qui remettait tout à l’endroit, exit le souverain qui avait assuré la soumission absolue de son royaume et dont le prestige était tel qu’aucun roi des Francs ne l’égala plus jusqu’à l’avénement de Pépin le Bref...

Si bien que, miné et affaibli par toutes ses orgies, Dago s’éteint à trente-six ans, complètement rétamé. On l’inhume selon ses vœux dans la basilique de St Denis (à sa suite, l‘abbaye accueillera la quasi-totalité des rois de France).

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Mais je vous vois déjà vous agiter : St Denis ? Quid St Denis??

Eh bien voilà. Un jour, Dago fut atteint de lèpre. Il se dit comme ça : je vais aller faire un petit pèlerinage pour demander à Dieu de me débarrasser de cette cochonnerie. Et il emmena une de ses femm sa femme pour le soutenir dans cette rebutante mission. Ils s’arrêtèrent en chemin et s’étendirent sur un pré fleuri pour y batifol dormir. Cela se passait à Catulliacum (St Denis). Au réveil, le contact de sa peau avec la rosée avait rendu saine une partie de son corps. Du coup il y vit comme un signe divin et s’immergea complètement dans l’herbe fleurie, toujours en compagnie de sa belle (c’est de là, d’ailleurs, qu’il prit l’habitude de faire des pèlerinages dans les buissons avec une personne du sexe opposé : pour remercier le Seigneur).

Et c’est comme ça qu’il fonda l’abbaye de St Denis sur le lieu du miracle..

6 novembre 2016

La Brune au Feu dormant

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Aujourd'hui, je vais vous raconter l'histoire de Brunehilde, la fille préférée d'Odin (en fait, le personnage s'inspire directement de la reine Brunehaut, dont je viens de vous raconter l'histoire ici. La reine des Francs s'appelait d'ailleurs Brunehilde en vrai et c'est pour ne pas les confondre que les historiens ont décidé de l'appeler Brunehaut).

Oui alors donc, Brunehilde est super belle, la plus belle de toutes les Valkyries. Seulement voilà, elle a désobéi à son Ase de papa qui, pour la punir, la condamne à dormir d'un sommeil qui ne cessera que lorsqu'un valeureux guerrier la réveillera. Pour corser le truc, le lit est entouré d'un effroyable brasier (d'ailleurs, on se demande comment elle fait pour respirer au milieu de toute cette fumée, enfin passons).

Or, un certain Siegfried qui se rendait chez le roi Gunnar passe par là. Grâce à la force qui est en lui (et surtout parce qu'il avait enfilé une armure ignifugée), il traverse les flammes et réveille la belle endormie. L'histoire ne dit pas comment, mais je vous laisse imaginer ..

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Seulement voilà, vous savez comment sont les hommes!

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Une fois qu'il a bien folâtré, Siegfried repart sous d'autres cieux, laissant Brunehilde éplorée sur son lit (qui commence à sentir furieusement le cramé).

Quand Siegfried arrive devant Gunnar le roi,

ce dernier ne se sent plus de joie

et lui colle sa fille Gudrun dans les bras.

Après narration des aventures siegfriedesques, Gudrun lui fait boire un philtre pour qu'il oublie l'amour qu'il a juré à la belle Brunehilde. Après quoi, elle lui propose de passer à des choses un peu plus légères ..

Elle va ensuite narguer Brunehilde dans son sauna en lui annonçant qu'elle vient de lui voler son amant.

Brunehilde, qui a hérité le caractère coléreux d'Odin, son divin père, fait égorger le traître Siegfried dans son sommeil. Mais dans sa précipitation, elle a zappé qu'elle l'aime comme une folle et qu'elle ne peut pas vivre sans lui!

Alors elle attrape Gram*, non pas un pote à elle mais la propre épée de Siegfried, et se trucide avec en hurlant à chaque coup qu'elle s'enfonce : "Boudi qu'est-ce qu'i fait chaud ici !!!"

Conclusion, on a toujours besoin d'une p'tite épée chez soi.

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C'est affreusement triste, isn't it?

*Siegfried tenait l'épée Gram de son père Sigmund, lequel avait réussi à l'extraire du frêne où Odin l'avait plantée. Gram, dit-on, était si tranchante qu'elle pouvait couper une enclume de fer en deux .. (Ça ne vous rappelle pas quelque chose?)

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