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Ma nature profonde..
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4 mars 2017

Une vie facile et peu laborieuse

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À Paris, un jour de février 1828, un petit bébé d’un peu plus d’un mois est déposé devant l’Hôpital des Enfans Trouvés. Grâce au bon Saint Vincent de Paul en effet, les enfants abandonnés dans Paris sont accueillis depuis 1638 dans ce qui allait devenir la très importante Maison de la Couche, qu’on appellerait bien plus tard l’Assistance Publique. Souvent, l’enfant était exposé en pleine rue, généralement à la porte d’une église ou d’une maison particulière. Cette pratique, qui mettait en danger la vie du nourrisson, était sévèrement sanctionnée par la loi, mais se perpétua pourtant toujours, malgré l’institution d’un tour à la porte principale de l’Hôpital dès 1774. 

Qu'est-ce qu'un tour? Il s'agissait d'une sorte d’armoire cylindrique tournant sur pivot et dans laquelle on pouvait mettre l’enfant tout en préservant son anonymat puisque la religieuse qui était chargée, à l’intérieur, de le recueillir, ne pouvait pas voir ce qui se passait dehors. La personne qui venait déposer l'enfant tirait une sonnette et s'éloignait furtivement. Le tour était un système fort ancien, puisqu’on peut faire remonter son origine à la fin du XIIe siècle, mais il avait l’inconvénient de ne pouvoir servir que pour les bébés, sinon des accidents pouvaient se produire quand on le faisait pivoter.

Or donc, en ce 18 février 1828, on trouve dans la mousseline brodée qui enveloppe le petit garçon, divers renseignements qui ont été notés par sa mère (la mousseline brodée est le premier des renseignements : l’enfant est issu d’une riche et noble famille). En effet, à part les femmes dites légères, les mères n’abandonnaient jamais de gaieté de cœur leur bébé : beaucoup y étaient contraintes sous la pression des interdits moraux et sociaux. Encore au XIXe siècle, la mère célibataire et l’enfant naturel étaient des sujets de mépris et de honte, rejetés par leur famille et par la société.

C’est le cas de Louise Boucherau-Demaineville, justement parce qu’elle est noble. Louise prend soin néanmoins de faire savoir que son fils, qu’elle a appelé Louis Edmond, est né d’elle le 5 janvier passé. Peut-être a-t-elle l’espoir de venir le rechercher plus tard.

Comme c’est l’usage, la première chose que l’on fait est de baptiser Louis, puisqu’aucune mention de son baptême n’a été trouvée sur lui. En même temps, ce 19 février 1828, on lui attribue le surnom Sintar. Le surnom se référait par exemple au lieu où l’enfant avait été déposé (sous un pont = Dupont, dans un parc = Duparc), au nom du Saint du jour ou encore à un signe particulier (teint pâle = Leclair; air sauvageon = Sauvage; etc).

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Malgré l’espoir que Louise avait qu’au moins à l’Hôpital des Enfants Trouvés son bébé serait protégé, en réalité, la mortalité infantile à cette époque était effroyable. En effet on ignorait les plus élémentaires règles d’hygiène, et les connaissances de la médecine étaient bien maigres. De plus, à l’Hôpital, les enfants étaient souvent sous-alimentés. Les biberons existaient depuis longtemps, mais on ignorait la stérilisation et les laits de synthèse, aussi les risques d’intoxication étaient-ils grands. L’allaitement était le moyen le plus sûr, mais les nourrices qui acceptaient de rester à l’Hôpital étaient rares et de ce fait, on leur confiait plusieurs enfants à nourrir en même temps. Les deux tiers des bébés abandonnés de Paris mouraient avant le premier mois de leur séjour.. À l’origine, les enfants trouvés étaient censés être reçus, nourris et élevés sur place, même si dès 1774 on encourageait les particuliers à se charger gratuitement d’un enfant, en échange de quoi, on assurait que le mari de la nourrice serait exempté de corvée (c’était un impôt) et que l’un de ses fils serait dispensé du Service dans les régiments provinciaux. En réalité, bien peu de particuliers acceptaient cette charge. On peut donc considérer que, malgré le grand désarroi qui avait entouré sa venue au monde, Louis Boucherau-Demaineville avait eu de la chance, car, dès le 20 février, on le confia à Pétronille Lorthiois et Louis Lancelle, un couple marié qui ne pouvait pas avoir d’enfant (quand on sait que ce couple s'était marié le 5 janvier 1814, c'est-à-dire quatorze ans précisément avant la naissance de Louis, on se dit qu'il était prédestiné pour le recevoir !). Ce couple habitait à Rumegis, à une trentaine de kilomètres au-dessus de Lille dans le département du Nord.

La plupart des enfants étaient confiés à des parents nourriciers car on pensait que "leur séjour prolongé à l’Hospice leur était nuisible à tous égards : nuisible au point de vue de la santé, de l’éducation physique, et de leur avenir. Un tel séjour gâterait les enfants", disait-on, "en raison de la vie facile et peu laborieuse qu’on menait dans les orphelinats (**) et plus tard ils se trouveraient fort peu armés pour lutter contre les difficultés de la vie".

Les enfants étaient placés, de préférence, chez des cultivateurs, parce qu’on croyait qu’élevés à la campagne, ils devenaient plus forts et plus intelligents que les enfants restés dans les villes, et étaient donc plus à même de gagner leur vie lorsqu’ils atteignaient leur douzième année. Une autre raison c’est que le travail de la terre, contrairement aux activités artisanales et industrielles, ne nécessitait pas un long apprentissage et que l’enfant pouvait commencer très jeune à gagner sa vie. De plus, les pouvoirs publics, effrayés par l’exode rural qui vidait lentement mais inexorablement les campagnes, voyaient là un palliatif.

Le 20 février 1828, le petit Louis quitta donc Paris à bord d’une charrette garnie de paille neuve, avec plusieurs autres bébés entassés à ses côtés qui allaient eux aussi être placés dans quelque foyer du nord de la France. Cette voiture fort inconfortable était conduite par ce qu’on nommait alors un "meneur d’enfants".

Louis grandit à Rumegis chez ses parents adoptifs, à 15 kms du Royaume de la Belgique dont le village était séparé par l’Elnon, rivière domaniale dans laquelle se jetaient les cinq cours d’eau qui traversaient Rumegis.

Rumegis 2

(**) Une petite idée de la vie "facile et peu laborieuse" des enfants à l’orphelinat?

Les journées se déroulaient dans un cadre triste, toujours de même manière : les enfants, qui étaient répartis en dortoirs, devaient se lever à 6 heures en hiver (c’est-à-dire du premier octobre au premier avril), et à 5 heures le reste de l’année. Leur emploi du temps était marqué par les heures des prières et des repas, qui se déroulaient dans deux réfectoires séparant les garçons des filles, et égayé par les récréations (une heure après le déjeuner, une demi-heure après dîner). En dehors de ces moments les enfants étaient occupés par deux types d’activités : leur formation intellectuelle, qui se réduisait à quelques rudiments d’instruction religieuse, de lecture, d’écriture et de calcul et d’autre part des travaux manuels, de jardinage, de cordonnerie, de tissage et de filature. Les filles étaient progressivement initiées à des travaux de tricotage, de couture, de raccommodage, puis au repassage, au soin et à la propreté des enfants, à la cuisine, etc ..

Dès l’âge le plus tendre on les employait à des travaux manuels pour qu’ils soient capables de gagner leur vie.

La journée se terminait par le coucher à 8 heures en été et à 7 heures en hiver. Le règlement précisait que les religieuses qui encadraient les enfants les entretiendraient dans la soumission. Le choix du mode et de la distribution des peines et récompenses leur appartenait : ces peines pouvaient se borner à quelques privations de récréation mais les religieuses pouvaient aussi mettre les enfants aux arrêts ou encore leur faire subir une mortification.

Les dimanches, jeudis et jours de fête, les enfants étaient conduits en promenade après le déjeuner.

À 14 ans ils étaient jugés aptes à voler de leurs propres ailes et devaient aller travailler à l’extérieur, l’Hospice estimant sa mission remplie...

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Commentaires
A
J'allais oublier: oui, les enfants à l'orphelinat avait une vie "facile" (sourire jaune) en comparaison d'un autre de mes ancêtres qui fut d'abord galibot (a commencé à travailler à la mine tout petit), là encore je peux raconter si cela t'intéresse!
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E
Heureusement que tu as précisé que c'était une vie facile et peu laborieuse... Dis-donc, je me demande ce que c'était pour les autres, ceux qui n'avaient pas une vie facile. Se lever à 6 h (grasse matinée) en hiver et à 5 h en été, que voilà de bien curieuses façons ! L'enfant dont tu nous parles en particulier a-t-il fait quelque chose de particulier par la suite ? Sa mère l'a-t-elle retrouvé un jour ? Pour le moment il est à côté de la Belgique... Y a-t-il une suite à ton récit ? J'ai hâte de la lire si c'est le cas.
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